Non, le Front de Gauche ne s'oppose pas à la taxe Tobin !
Mardi, 9 novembre 2010, 22:26 - Prises de position - Lien permanent
Le 20 octobre, le Parlement européen a examiné un rapport de l'eurodéputée socialiste Pervenche Bérès, à la suite de quoi il a voté une résolution "sur la crise financière, économique et sociale : recommandations concernant les mesures et initiatives à prendre (rapport à mi-parcours)." Pour les curieux (et courageux !) le texte complet est en ligne ici, et les votes sont là, pages 180 à 197.
Le vote par les socialistes et les Verts de cette résolution et notamment du paragraphe 77, concernant les retraites, a provoqué quelques remous - et pour cause, le texte ouvre en grand la porte à la retraite par capitalisation ! Alain Lipietz, ancien député européen, et Djamila Sonzogni, porte-parole des Verts, ont choisi d'y répondre par un argumentaire... qui accuse les députés européens du Front de Gauche de s'opposer à la taxation des transactions financières ! Interrogée par un militant qui s'étonnait de telles accusations, j'avais autorisé la diffusion de ma réponse. Elle est en ligne ici, sur un blog que je ne connaissais pas. Me voici maintenant mise en cause sur le blog d'Alain Lipietz, lequel s'obstine dans la mauvaise foi.
Je réponds donc ci-dessous, cette fois publiquement.
- Sur l'ensemble du texte
La résolution en question contient 224 points. Vu l'ampleur du champ traité (financier, économique et social), le moins que l'on puisse dire c'est qu'on y trouve un peu de tout, y compris des préoccupations sociales. Évidemment pas de remise en cause du traité de Lisbonne, au contraire, et deux grands axes qui ressortent : l'ode constante à la croissance, y compris la croissance verte, ce qui rend encore plus étonnant le vote positif des eurodéputés d'Europe Ecologie, et l'appel répété à des sanctions et à plus de contrôle par la commission européenne des budgets et des politiques économiques des pays de l'Union. Je vous livre quelques extraits dans ce document, si vous voulez vous faire une idée rapide.
Rien que cela déjà justifie, lorsqu'on se réclame de l'écologie, du rejet de la concurrence libre et non faussée et du rejet des politiques libérales menées à l'échelle de l'Union, de rejeter l'ensemble de ce rapport.
- Sur la taxation des transactions financières
Le cœur de l'argumentation d'Alain Lipietz, c'est qu'en votant contre l'ensemble de cette résolution, les députés européens du Front de Gauche se seraient opposés à la taxe Tobin, autrement dit, à la taxation des transactions financières. Alain se garde de citer le texte. Voici le paragraphe 73, qui renferme le contenu "historique" du texte :
73. recommande la mise en place d'une taxe sur les transactions financières, dont le produit améliorerait le fonctionnement du marché en réduisant la spéculation et en contribuant à financer les biens publics mondiaux et à diminuer les déficits publics ; considère qu'une telle taxe devrait être établie sur la base la plus large possible, mais qu'à défaut, elle devrait être introduite dans un premier temps au niveau de l'Union européenne ; invite la Commission à produire rapidement une étude de faisabilité intégrant la notion des conditions égales au niveau mondial et à présenter des propositions législatives concrètes dans les meilleurs délais ;
Les ardents défenseurs de cette taxe n'avaient pas demandé de vote différencié sur ce paragraphe. Pour l'adopter, il fallait donc voter en même temps tous les passages consacrant l'ordre institutionnel européen existant, valorisant la croissance, demandant à la Commission de sanctionner les États ayant le mauvais goût de ne pas plier devant l'orthodoxie libérale. Des compromis sont parfois nécessaires, lorsqu'il s'agit d'échanger de vagues symboles contre des avancées concrètes. Qu'est-ce qui était en jeu ici ? Une recommandation s'appuyant sur une invitation à produire une étude de faisabilité. A chacun ses ambitions.
- Sur les retraites
L'argumentation d'Alain Lipietz sur l'article 77 portant sur les retraites est invraisemblable. En effet, contrairement à ce qu'il laisse entendre, tout fonctionnaire français aujourd'hui peut vivre retraité sans avoir à cotiser en plus à la Préfon, qui est tout simplement une épargne par capitalisation dont la gestion financière est assurée par quatre assurances : CNP, AGF, AXA et GAN. Mais Alain mélange visiblement la situation d'une minorité de fonctionnaires avec la grande masse qui n'a ni assurance vie ni Préfon. Ne parlons même pas des salariés du secteur privé, qu'il oublie visiblement. Il n'y a pas que des fonctionnaires chez les retraités ! De plus, Alain tronque sa citation ce qui lui permet d'inventer que la résolution prévoit que la pondération entre « les 3 piliers » évoluerait dans le sens de la « solidarité intergénérationnelle ». Voici l'intégralité du paragraphe 77 :
77. prend acte de ce que le grand krach éclaire d'un jour nouveau le défi démographique et celui du financement des retraites ; considère que le financement des pensions ne peut être entièrement laissé au secteur public, mais doit reposer sur des systèmes à trois piliers, comprenant des régimes de retraite publics, professionnels et privés, dûment garantis par une réglementation et une surveillance spécifiques destinées à protéger les investisseurs ; considère en outre que les retraites devront être réformées à l'échelle européenne pour contribuer à financer la solidarité intergénérationnelle ; considère que l'allongement de la durée de vie soulève des questions transversales en termes d'organisation de la société qui n'ont pas été anticipées ;
Mais même si ce que décrit Alain Lipietz était réel, on attend de militants politiques, non qu'ils se soumettent au système, mais qu'ils prennent position. Et surtout, aux dernières nouvelles, les Verts n'étaient pas censés avoir pris position pour un système de retraite basé sur trois niveaux : régime de base, complémentaire (AGIRCC, ARCO) et fonds de pension, contrairement à ce que le paragraphe 77 présente comme un modèle à imposer dans toute l'Europe.
Quant à l'idée développée dans le dernier billet d'Alain Lipietz, selon laquelle il s'agirait de protéger les cotisants ayant eu recours à la capitalisation contre les mauvais placements, et dans l'exemple utilisé par lui, contre une éventuelle faillite de la Préfon ou de la MAIF, elle tombe comme un cheveu sur la soupe. Ce que dit le texte, c'est d'une part, que le modèle avec capitalisation est le bon (selon le bon principe libéral : un zeste de filet social pour les pauvres, et la roulette de la bourse pour les autres, à hauteur de leurs moyens), et d'autre part, que les investisseurs doivent être protégés. Quand un fond de pension pratique la vente à la découpe d'un immeuble, il faut protéger l'investisseur contre les locataires qui osent lutter pour garder un toit ? Quand un fond de pension achète une entreprise, pompe toute la richesse et la laisse en faillite, ce sont les intérêts des investisseurs qui priment sur ceux des salariés mis à la porte ? La réalité de la retraite par capitalisation, quel que soit au final son habillage, c'est la lutte de tous contre tous. Et c'est ce modèle de société que nous combattons.
On aurait pu penser que Les Verts/EE nous refaisaient un coup similaire à celui qui les a amenés à voter en faveur de la résolution sur Copenhague , au nom du moindre mal, malgré l'ode au nucléaire. Or cet article sur les retraites a été soumis à un vote séparé, et tous les députés Verts/EE européens ont voté pour ! Ce que se garde bien de dire Alain Lipietz.
Vote spécifique sur les retraites donc, mais pas sur l'hypothétique taxation des transactions financières. Si un vote séparé avait été proposé sur cette dernière proposition, les députés du Front de Gauche auraient voté pour et ensuite contre l'ensemble de la résolution. La mauvaise foi d'Alain est donc totale et ne s'explique que par l'embarras et les remous que suscitent en interne des Verts le vote des députés européens.
Et pour cause : quand les Verts siègent au Parlement Européen, ils votent pour des systèmes de retraite avec fonds de pension. Lorsqu'ils sont en France, ils sont contre ! Alors soit les députés européens Europe Ecologie ont des positions différentes des positions du parti Vert, mais il faut le dire, soit il y a de quoi se poser des questions sur la schizophrénie en cours !
En conclusion
Oui, mille fois oui, les députés du Front de Gauche ont eu raison de voter contre le paragraphe 77 et globalement contre la résolution.
Commentaires
Bonjour Mme Billard,
Bonjour camarade Martine
Un très grand merci pour ce texte que je viens de lire avec intérêt. Pour vous dire la vérité, je ne comprenais pas non plus le vote "contre": là, ça devient clair.
Ah, les petits manipulateurs!
Vraiment merci, je diffuse en masse votre réponse claire.
Je profite de ce message, qui est le premier sur votre blog, pour vous exprimer toute mon estime - pas seulement pour votre intelligence qu'on retrouve chez d'autres aussi - mais surtout pour votre intégrité, votre honnêteté et votre détermination.
Quand Mélenchon a lancé le PG, j'ai bu une bouteille de champagne. Quand j'ai vu que Jacques Généreux était de la partie, j'ai bu encore une autre. Quand vous avez rejoint le FG, j'ai bu deux bouteilles: j'avais la certitude que le PG allait prendre une tournure sincèrement écologique sinon, vous n'aurez jamais adhéré.
Continuez, j'adore le champagne :-)))
Monsieur Lipietz est, en effet, plus convainquant! Enfin bref...
http://lipietz.net/spip.php?article...
Chère Martine,
la question n'est pas de savoir si le Front de Gauche est pour la taxe de Tobin, mais s'il l'a voté. La réponse est non, il a voté contre la résolution dont le seul point décisionnel était l'initiative législative du Parlement européen (procédure introduite par le traité d'Amsterdam et régulé par l'accord interinstituionnel "Mieux légiférer") demandant à instituer unilatéralement une taxe de Tobin (§73)
S'apercevant de sa bourde, l'eurodeputé PCF Jacky Henin a dit que la résolution dans laquelle cette demande était insérée contenait aussi le § 77 selon laquelle les écologistes étaient pour le démantèlement de la retraite par répartition.
On peut lire l'article 77, il ne contient rien de tel , sauf si tu considères que la phrase "considère en outre que les retraites devront être réformées à l'échelle européenne pour contribuer à financer la solidarité intergénérationnelle " signifie "affaiblir la retraite par répartition " (tu nous expliqueras !).
Les Verts ont voté et le §73 (taxe de Tobin) et ce renforcement de la solidarité interrgénérationnelle, le Front de Gauche a voté contre le renforcement de la solidarité intergénérationnelle, on ne sait si il a voté le §73 sur la taxe de Tobin (ce n'était pas en vote nominal) et ensuite a voté contre l'ensemble. Chacun appréciera.
Notre réponse à Hénin est là :
http://lipietz.net/spip.php?article...
Ma reponse à ta présente réponse est là :
http://lipietz.net/spip.php?article...
Je suis passé rapidement sur le fait que tu sembles ignorer que , en langage juridique européen, "les investisseurs" dans un fond de retraite sont ceux qui y placent leur argent , et non pas ceux qui gèrent cet argent (par exemple les gestionnaires de la Préfon) . Comme tu sembles avoir compris au moins que tout système en capitalisation est une forme d'épargne, j'attribue cette erreur à une faute de rédaction de ta part. Mais on ne sait jamais ce que croit le lecteur, alors je précise.
Dernier point : si les Verts sont pour un système principal à la répartition, c'est à dire fondé sur la solidarité intergénérationnelle, ils n'ont jamais refusé aux familles (même quand tu en faisais partie ! ) le droit de se doter volontairement de retraites complémentaires, c'est à dire nécessairement en capitalisation. Les Verts ne sont pas contre l'épargne des ménages, ils faut tenir compte de la variété des situations. Par exemple, avec les familles recomposées, beaucoup de ménages arrivent à la retraite avec des enfant à leur charge.
Les Verts sont contre la forme financière actuelle de ces retraites, ils sont pour qu'elles soient gérées par le secteur non-lucratif, qu'elle soient surveillées et garanties. Si le FdG est pour la suppression de la Préfon, autant le dire avant les élections.
Sur la possibilité d'une alternative pour la gestion des fonds de pension volontaire en capitalisation (y compris l'assurance-vie) j'avais d'ailleurs organisé un colloque en 1999 :
http://lipietz.net/spip.php?article...
Bonjour Martine,
J'ai milité à tes côtés (de loin, nous ne sommes pas de la même région) quelques temps, avec plaisir, même si nous avions des divergences (mon anarchisme est peu compatible avec certains facettes de l'état :)). Mais j'ai toujours aimé chez toi la probité, l'honnêteté et la clarté de tes combats.
J'ai quitté les Verts peu de temps après toi, pas pour rejoindre le PG (non il ne me convainc décidément pas) mais pour continuer la lutte. Nous en avions parlé, et je sais que tu respectes cela.
Au demeurant, tu ne connais pas mon blog (celui que tu mets en lien pour ta réponse) et c'était voulu, je ne m'étale pas comme ça non mais
Mais c'est avec plaisir que je vais publier la réponse que tu fais là, ainsi que celle de Lipietz, tant la divergence de point de vue est intéressante.
Continue ton combat, ne cède rien, même si je ne partage pas tout, nous avons besoin de gens comme toi.
Amicalement,
Fabien
Magnifique rideau de fumée de Lipietz. Mais sa tactique est habituelle et déjà utilisée dans les débats sur le TCE. Il s'acharne sur un article flou en expliquant que ses contradicteurs ne maitrisent pas la novlangue des eurocrates et sont incapables de comprendre à quel point le nouveau texte est un véritable progrès social et écologique.
Merci d'avoir attaché le PDF, cela permet de voir que le point des retraites n'est pas la cible principale mais que la résolution vise à attaquer la souveraineté des états, et en plus le parlement européen "partage l'avis du FMI", n'en jetez plus la coupe est pleine.
Il faut contre attaquer et arrêter de répondre à Lipietz, c'est lui qui devra répondre de la mise sous tutelle des budgets des états souverains et des peuples eux mêmes.
Enfin quand je lis sa réponse sur les retraites, je trouve qu'il utilise le même point d'entrée(la Préfon) que celui de la Droite pour imposer des fonds de pension dans le privé, mais en ce faisant, il signe son soutien à ce type de fond de pension, et je trouve que c'est bien une façon de se moquer des "collectifs".
J'ai donné mon appréciation sur ce vote. Je n'entends pas me lancer dans un match de ping-pong avec Alain Lipietz. Il propose de poursuivre le débat sur son blog, j'invite à s'y reporter s'il est besoin de commenter plus avant cet épisode.
Martine Billard
Quelques grains de sel…
77 : la phrase exacte est « considère que le financement des pensions ne peut être entièrement laissé au secteur public, mais doit reposer sur des systèmes à trois piliers, comprenant des régimes de retraite publics, professionnels et privés, dûment garantis par une réglementation et une surveillance spécifiques destinées à protéger les investisseurs » : c’est clair il s’agit bien des investisseurs du troisième pilier et non des deux premiers. Du reste, Alain Liepietz raconte des histories, il sait bien que son argument dans le commentaire ne tient pas car la retraite par répartition, ce n’est précisément pas une forme d’épargne, les actifs d’aujourd’hui financent directement les retraites d’aujourd’hui…
D’autres décisions auraient mérité à elles seules un vote « contre »
90 : partage l’avis du FMI : lequel ? sur quelles réformes ? les retraites ? des autres ?
145 : allègement de la fiscalité du travail : qu’est-ce à dire au juste ? S’agit-il de poursuivre la baisse de l’impôt sur le revenu comme cela a été le cas depuis 2000 ? Auquel cas il faudra expliquer comment compenser le manque à gagner : privatisations ? Paupérisation des services publics ? Augmentation d’autres impôts comme la TVA (et avec quoi consomme-t-on ? les revenus du travail !) ?
161 : vers une privatisation plus ou moins rampante de l’éducation ?
191 : plus de souplesse aux employeurs ? Il n’y en a pas assez ? Il faut donc plus de flexibilité ? On sait ce que ça veut dire… Un soutien actif pour la réemployabilité ? Comme en Grande Bretagne ?
Bonjour à tous,
j'ai la curieuse impression que Mr Lipietz pourtant très intellegent a du mal à saisir où fait exprès de ne pas comprendre ce que souhaite expliquer Mme Billard.
Exemple simple il déclare "tu sembles ignorer que , en langage juridique européen, "les investisseurs" dans un fond de retraite sont ceux qui y placent leur argent et non pas ceux qui gèrent cet argent".
Alors que Mme Billard dans sa démonstration explique bel et bien que les investisseurs sont les cotisants qui, lorsque le fond de pension ( je reprend son exemple ) "pratique la vente à la découpe d'un immeuble " entrainant une résistance des résidents pour conserver leur toit, voient la pérennité de leurs placements menacée. Il faudrait alors d'après cet article les protéger, défendre leur intérêt quitte à soutenir les pratiques immorales des fonds de pension consacrant ainsi la domination de l'argent sur la condition humaine.
D'autre part, Mr Lipietz, je ne vous vois pas réagir sur le fait qu'il y a eu un vote spécifique sur l'article concernant les retraites auquel vous auriez donc pu voter contre ( sans conséquence sur l'adoption de la taxe Tobin ) et être ainsi en accord avec la position que véhicule les Verts/EE sur ce sujet. Un vote spécifique dont n'a pas bénéficier la taxe Tobin et qui, si cela avait été le cas, aurait sans doute recueilli la faveur des députés du Front de gauche. Ces derniers ont donc fait preuve de cohérence en votant négativement à l'ensemble de la " Résolution du Parlement européen du 20 octobre 2010 sur la crise financière, économique et sociale ". Ils ont ainsi exprimé une nouvelle voie, différente, qui refuse de laisser l'Europe être tirée socialement vers le bas en " limitant la casse " comme le fait depuis des années le ps par exemple. Désolé Mr Lipietz mais ce ne semble pas être la politique des élus Front de Gauche que de ce ruer sur les miettes sociales lancées par ce type de résolutions.
Cordialement.